Depuis le démarrage de la crise ivoirienne, une forte mobilité de la population est observée à travers le pays avec un pic après la crise post électorale de Novembre 2010. Les femmes et les enfants restent ainsi les plus vulnérables de cette situation. Par ailleurs, à la suite de l’embargo sur les ports d’Abidjan et de San-Pedro, l’importation de médicaments, s'est estompée, mettant alors à mal, le système sanitaire et les différents programmes de planification familiale en cours dans le pays.
Les déplacés internes en Côte d’Ivoire, les femmes en particulier, appauvries par la situation, s’en remettent alors à la médecine traditionnelle, à leur pré-acquis de l’environnement (éducation à l’environnement) surtout dans la contraception en vue d’éviter des grossesses non désirées, dans une période aussi difficile. L’objectif de cette recherche a été d’observer les manifestations de cette méthode de contraception issue de la médecine traditionnelle, basée sur les connaissances de l’environnement, des plantes, chez les femmes déplacées de guerre dans la région d’Aboisso, située proche de la frontière du Ghana.
Question principale/hypothèse
La question principale qui guide cette étude est la suivante : dans quelle mesure, l’appropriation des méthodes de contraception basée sur la médecine traditionnelle (formalisée par une éducation à l’environnement) influence-t-elle le paysage de la planification familiale dans une région accueillant un grand nombre de déplacées de guerre en Côte d’Ivoire?
Méthodologie (lieu, concept d’étude, source d’information, délai, échantillon, approche d’analyse)
Lieu
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Localisation géographique de la commune d’Aboisso |
Concept d’étude
La recherche a eu lieu dans la région d’Aboisso dans le Sud-est de la Côte d’Ivoire qui a accueilli le tiers des déplacées de guerre depuis Novembre 2010. La ville d’Aboisso est située dans une zone de forêt à relief de collines et de vallées dans le Sud-Est de la Côte d’Ivoire. Elle se trouve à 120 km d’Abidjan et à 60 km de la frontière avec le Ghana.
La médecine traditionnelle est un ensemble intégré propre au patrimoine culturel de l’Afrique qui procède d’une connaissance globale : connaissance du milieu, connaissance de l’homme, à la différence de la médecine officielle (FK N’guessan, 1978).
La contraception est l’ensemble des méthodes visant à éviter de façon réversible et temporaire la grossesse. Elle concerne tant les hommes que les femmes. Mais dans l’étude, nous considérons uniquement le cas des femmes. De façon générale, les méthodes de contraception visent à empêcher : soit l’ovulation, c’est le cas de la pilule, soit la fécondation, c’est le cas du préservatif, soit l’implantation de l’œuf fécondé, c’est le cas du stérilet. Mais la contraception verte oblige la connaissance de l’environnement, des plantes et des vertus qu’elles procurent dans le cadre de l’espacement des naissances.
Déplacés internes : les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays sont des personnes ou des groupes de personnes qui ont été forcées ou contraintes à fuir ou à quitter leur foyer ou leur lieu de résidence habituel, notamment en raison d'un conflit armé, de situations de violence généralisée, de violations des droits de l'homme ou de catastrophes naturelles ou provoquées par l'homme ou pour en éviter les effets, et qui n'ont pas franchi les frontières internationalement reconnues d'un État.
Source d’information
Elles proviennent des données de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) (2009) et les données de la préfecture d’Aboisso (2010) sur les migrations internes des femmes. L’enquête a eu lieu pendant deux semaines durant le mois de février 2011 sur 213 femmes déplacées internes, 17 tradipraticiennes et 4 femmes médecins, arrivées à Aboisso entre septembre 2010 et janvier 2011.
Approche d’analyse
L’analyse de contenu des données d’entretien, ainsi que le traitement statistique des questionnaires semi-dirigés ont été traités sur Excel et à l’aide du logiciel Sphinx Lexica V5.
Résultats/conclusions
73% des femmes déplacées enquêtées utilisent des méthodes contraceptives issues de la médecine traditionnelle. Parmi celles-ci, seulement 13% demande l’avis de leur conjoint. La méthode la plus utilisée à 86% est la purge à base d’écosses d’arbres écrasées. Le reste en tisane de feuilles qu’elles boivent. 93% des cas, utilisent ces méthodes pour éviter l’implantation de l’œuf fécondé dans l’utérus; les cas de fécondation et d’ovulation sont absents de leur discours. 37% des femmes utilisent les conseils d’un tradipraticien (spécialiste de la médecine des plantes), le reste fait de l’automédication (55%) ou sur conseil d’amis (8%) ayant une bonne connaissance de l’apport de la nature à la contraception. Le choix de la méthode traditionnelle, basée sur la connaissance de l’environnement, provient du manque d’argent à 15%, du comportement du conjoint à 52% et des conditions actuelles de vie à 33%. Parmi ces femmes déplacées, 37% de nationalités étrangères avouent pratiquer la contraception traditionnelle depuis plus de 5 ans. 83% des ivoiriennes avouent avoir opté pour cette méthode du fait de la crise post électorale et 53% de celles-ci comptent bien y rester. 43% disent avoir des diarrhées, 35% des vomissements et 22% des menstrues irrégulières à la prise de ces méthodes traditionnelles basées sur l’environnement. 73% avouent que la purge a plus d’effet escompté que l’absorption de tisanes.
Contribution à la connaissance
En période de crise, la médecine traditionnelle basée sur une bonne connaissance de l’environnement, des plantes, de leurs bienfaits ainsi que de leurs méfaits, pourrait néanmoins soutenir les pratiques contraceptives modernes. Ces méthodes nécessitent qu’on s’y attarde dans les différents programmes d’aide aux déplacés de guerre afin de mieux soutenir psychologiquement les femmes en difficulté.
Bibliographie
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Estem : 2001 157-169.
DJANE Kabran Aristide
Membre du CA de Planet’ERE
Doctorant en Sciences Sociales de Développement du Capital Humain
Université de Cocody
Institut des Sciences Anthropologiques de Développement (ISAD)
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